Un sujet largement débattu lors de la conférence Legal Geek cette année concerne les stratégies d’innovation au sein des cabinets d’avocats et des directions juridiques. La conclusion est claire : une bonne stratégie d’innovation et de conduite du changement s’avère être aussi importante que la solution technologique elle-même. Sans une mise en œuvre coordonnée et bien pensée, même les meilleures solutions ne produisent pas les résultats souhaités.
Dans cet article, nous rassemblons les retours d’expérience d’avocats et de responsables de l’innovation de grands cabinets d’avocats et entreprises ayant réussi leur transformation numérique.
A quoi ressemble une bonne stratégie d’innovation ?
Fixer des objectifs mesurables et un processus clair pour les atteindre est la première étape de la mise en place d’une stratégie d’innovation. Bas Boris Visser, Global Head of Innovation and Business Change, et Theodora Fajembola, Head of Continuous Improvement au sein du cabinet Clifford Chance, s’appuient sur quatre principes stratégiques pour former leur stratégie :
1) L’approche des « trois horizons » : il s’agit d’une stratégie utilisée par des cabinets de conseil comme McKinsey pour évaluer les opportunités potentielles de croissance future, sans négliger la performance au moment T. Elle s’appuie sur un découpage de l’avenir en 3 phases :
2) Test and learn : il faut être prêt à faire des erreurs et à apprendre de celles-ci, afin d’améliorer continuellement la stratégie d’innovation et sa mise en œuvre au quotidien ;
3) Fournir des solutions fiables et faciles à utiliser au quotidien grâce à une collaboration poussée entre les parties prenantes ;
4) Ne pas innover pour innover mais pour tenter de définir les enjeux clés de l’organisation et d’y répondre.
Jason Barnwell, Assistant General Counsel chez Microsoft, a pour objectif de permettre aux avocats de se concentrer sur leur expertise juridique plutôt que sur le process, ce qui correspond aux modes de travail et aux attentes des clients. Il fonde également sa stratégie sur trois principes :
- Standardiser le travail en utilisant les mêmes processus pour réaliser les mêmes tâches (par exemple, utiliser les mêmes checklists pour des transactions similaires) ;
- Considérer les machines comme une passerelle entre les différentes solutions proposées, pour offrir aux utilisateurs des services unifiés et interopérables, permettre aux organisations de fonctionner efficacement à grande échelle, tout en évitant la duplication des efforts ;
- Faciliter le travail humain en simplifiant les expériences des utilisateurs, au lieu de les forcer à changer d’outil et de contexte pour effectuer des tâches courantes simples.
Il s’agit donc de garder les besoins des utilisateurs au premier plan afin de rendre le changement technologique concret et palpable, à court comme à long termes.
Comment réussir la mise en œuvre de votre stratégie d’innovation
Après avoir vu à quoi peut ressembler une bonne stratégie d’innovation, voyons comment la mettre en œuvre avec succès. Jerry Levine, Chief Evangelist et General Counsel chez ContractPodAi, mentionne la collaboration et la formation – amener les parties prenantes à adhérer aux projets, puis leur apprendre à utiliser les outils – comme les deux principales difficultés lors de la mise en œuvre de solutions technologiques juridiques.
De nombreux outils n’obtiennent pas le niveau d’utilisation et d’adoption escompté. Levine suggère d’impliquer les parties prenantes dès le début du projet en posant les questions suivantes :
- De quelles fonctionnalités avez-vous besoin ?
- A quoi souhaitez-vous que cela ressemble ?
- Que pouvons-nous faire pour que cela vous convienne ?
- Comment collaborer tous ensemble sur ce projet ?
- Qu’avez-vous besoin d’apprendre ?
Si les interlocuteurs sont pris en compte dans le processus, peuvent faire entendre leur voix et mettre leurs idées en œuvre, ils seront beaucoup plus susceptibles d’utiliser la solution choisie.
Faisant écho à cela, Stephanie Boyce, présidente de la Law Society, insiste sur le fait que l’un des principaux défis est la confiance. Pour l’obtenir, elle mène des entretiens avec des avocats pour comprendre leurs expériences et s’assurer que l’innovation technologique est intégrée dans leurs pratiques d’une manière qui bénéficie à la fois aux avocats et à leurs clients.
L’équipe de Clifford Chance affirme que les avocats sont parmi les personnes les plus cyniques et sceptiques au monde, et que le moyen le plus efficace de les convaincre qu’une solution présente des avantages est de leur fournir des preuves concrètes et des données solides.
Deux autres éléments primordiaux selon eux : la réunion des compétences et la réduction du nombre d’outils. Ils se sont rendus compte que la création de hubs technologiques plus importants et plus concentrés dans les principaux bureaux et la concentration de leur portefeuille sur 2 ou 3 solutions clés au lieu de 20 facilitaient l’augmentation de l’engagement sur les outils sélectionnés.
Comment les organisations juridiques se transforment à l’heure actuelle
Melissa Miller, Senior Manager of Legal Function Consulting chez EY Law, a examiné les stratégies réellement mises en œuvre par les directions juridiques, en se basant sur une étude réalisée conjointement par EY et Harvard Law auprès de PDG et de directeurs juridiques.
L’étude révèle qu’il existe une pression énorme sur les services juridiques pour qu’ils pensent et agissent différemment, dans le but de maximiser la valeur du juridique au sein de l’organisation. Les services juridiques sont devenus des business partners qui fonctionnent de façon moins cloisonnée et plus imbriquée qu’auparavant, et qui apportent une valeur de plus en plus stratégique à l’entreprise.
Dans le même temps, les principales priorités des dirigeants ont changé pour inclure la gestion des risques, la réduction des coûts, la digitalisation des processus et les investissements technologiques, comme indiqué ci-dessous.
Dans ce cas, comment évaluer le succès d’une stratégie d’innovation ? Les indicateurs de performance jouent bien sûr un rôle essentiel dans l’évaluation du succès. Mais communiquer ce succès aux parties prenantes et au public de la bonne manière est également primordial ; garder les parties prenantes impliquées, collecter des données précises et expliquer à travers des études de cas à quel point le changement est pertinent pour leur pratique permet de montrer aux avocats mais également à leurs clients que l’innovation est source de changements réussis.
Comme le dit Mme Boyce, l’avenir des professions juridiques est intrinsèquement lié à la technologie numérique – il n’y a pas d’échappatoire. La clé est de trouver une stratégie qui correspond aux besoins uniques de chaque organisation, d’impliquer les bonnes parties prenantes et de s’en tenir au plan.