Dans un contexte de digitalisation quasi-totale forcée, les pratiques et habitudes des professionnels du droit ont plus évolué depuis mars 2020 qu’au cours des vingt années précédentes. La première (r)évolution qui nous vient en tête est la signature électronique. Si le droit français est plutôt souple en la matière, la technologie est souvent en avance sur le droit et certains verrous ont dû ou doivent encore sauter afin de permettre une expérience numérique complète et fluide pour les praticiens et leurs clients.
Une première conquête sur le terrain des droits d’enregistrement
En fin d’année 2020, une première victoire a été obtenue de haute lutte face à l’inertie de l’administration. Depuis le 1e janvier 2021, il est possible de faire enregistrer auprès de l’administration fiscale des documents signés électroniquement.
La situation était particulièrement dommageable pour les entreprises et leurs conseils. Dans le cadre de leurs opérations juridiques, tous les documents et contrats pouvaient être signés électroniquement, à l’exception de ceux nécessitant un enregistrement auprès des services fiscaux (notamment pour les transferts de titres de sociétés ou de fonds de commerce). Il fallait donc faire signer une partie des documents à la main et les déposer physiquement au centre des impôts des entreprises (qui plus est en plein confinement). Des discussions ont donc été initiées par Closd avec la DGFiP, l’ANSA, des parlementaires et des membres du gouvernement. Un constat n’a pu qu’être partagé par tous : celui d’une situation anachronique, nuisant au fonctionnement des entreprises déjà en difficulté du fait de la crise, en contradiction avec l’élan numérique souhaité par le gouvernement et à laquelle il pouvait être remédié facilement.
Sous cette impulsion, un amendement à la loi de finances pour 2021 a modifié l’article 658 du code général des impôts pour permettre l’enregistrement de documents signés électroniquement. Il faudra cependant attendre la mise en place du futur service « e-enregistrement » (annoncé mais dont la date de démarrage est toujours indéterminée) pour pouvoir télétransmettre les documents à l’administration fiscale au moyen d’une plateforme en ligne, sur le modèle d’Infogreffe.
Une bataille bientôt remportée en droit des sûretés
Une deuxième avancée concerne le droit des sûretés. L’article 1175 du code civil interdit les originaux électroniques et les mentions obligatoires dactylographiées pour les actes relatifs à des sûretés (caution, gage, nantissement, etc.), sauf s’ils sont réalisées « pour les besoins de sa profession ». Il s’agissait initialement de protéger les personnes qui garantissent une dette, en considérant que la signature en présence des parties et la mention manuscrite font prendre pleinement conscience de son engagement.
Cette interdiction crée des frictions dans le déroulement des opérations juridiques, qui contiennent souvent des sûretés. Et bien que cela ne concerne en principe que les sûretés réalisées à titre non-professionnel, il n’est pas toujours aisé d’être certain de la qualité de celui qui s’engage et il ne vaut mieux pas risquer la nullité du contrat.
Le changement est venu de la loi Pacte du 22 mai 2019, qui autorise le gouvernement à réformer le droit des sûretés par voie d’ordonnance dans un délai de deux ans. La technologie permettant désormais de sécuriser tout autant (et même bien plus) les engagements qu’un contrat papier, le gouvernement a souhaité moderniser ces règles et faciliter l’utilisation de ces outils juridiques.
Un avant-projet d’ordonnance a été publié par la Chancellerie en décembre 2020, précédé et suivi de consultations auprès des professionnels du droit, des acteurs économiques et des universitaires. Dans ce texte, l’alinéa de l’article 1175 relatif aux sûretés est tout simplement supprimé. Le Ministère de la Justice indique que cette suppression « permet de conclure l’ensemble des sûretés par voie électronique » et notamment « de dématérialiser les cautionnements, ce qui est aujourd’hui impossible ». Il précise que « la caution personne physique devra toujours apposer une mention, mais elle le fera de manière électronique ».
La consultation a pris fin le 31 janvier 2021 et l’ordonnance doit désormais être prise avant la fin du mois de mai. On ne peut que s’en réjouir.
Quelles sont les prochaines campagnes à mener ?
A la faveur des restrictions sanitaires, des progrès ont été faits dans la généralisation de la signature électronique et son acceptation par l’administration. De nombreuses technologies solides existent aujourd’hui et le règlement eIDAS permet de s’assurer de leur fiabilité. La simplicité et la sécurité des opérations juridiques s’en trouvent donc renforcés. Il reste cependant plusieurs chantiers à réaliser pour une utilisation véritablement optimisée de la signature électronique.
L’un de ces chantiers concerne la signature électronique dite qualifiée. Ce niveau de signature (le plus élevé) n’est pas « plus valide » que les autres mais il bénéficie d’une présomption de fiabilité. Par ailleurs, son recours est obligatoire en France pour la signature des marchés publics. Plusieurs problèmes se posent : en premier lieu, la rédaction ambigüe du règlement européen eIDAS peut laisser penser qu’il s’agit du seul type de signature dont l’effet est équivalent à une signature manuscrite. C’est faux et cela génère de la confusion et des blocages lors de la conclusion d’opérations juridiques. En second lieu, elle est particulièrement difficile à mettre en œuvre puisque chaque signataire doit s’authentifier en personne (ou par visioconférence) auprès d’une autorité de certification (dont le nombre est très restreint). Cela rend le procédé chronophage, coûteux et réduit largement les bénéfices d’un processus numérique.
La carte d’identité électronique (eID), qui existe déjà dans plusieurs Etats de l’Union Européenne, pourrait toutefois faire évoluer la situation. Sa généralisation en France à compter du 2 août 2021 devrait permettre à moyen terme de faciliter la réalisation de signatures électroniques qualifiées. Elle sera équipée d’une puce contenant les informations d’identité de son porteur et pourra donc servir dans le cadre d’une authentification forte.